Pénurie de médicaments: «Pharmastatut donne une image tronquée de la situation» (Olivier Delaere)

Voilà plusieurs mois qu’une pénurie des médicaments est constatée dans notre pays. Sur le terrain, les médecins et les pharmaciens doivent procéder de plus en plus fréquemment à des substitutions. La SSMG, Felbeco, Pharma.be, l’APB, le CBIP font le point.

Certains s’interrogent sur la mise à jour en temps réel de Pharmastatut afin de bien connaître les médicaments en pénurie. Pour sa part, Frank Vandenbroucke, ministre de la Santé, a rappelé mercredi  qu’il va bientôt signer un nouvel arrêté royal qui va interdire l'exportation des médicaments urgents et essentiels. « Il est en cours mais nous ne savons pas encore quels médicaments seront concernés » nous précise le cabinet du ministre. Toutefois, cela ne suffira pas.

Il convient par ailleurs aussi de répondre à une question essentielle : Combien médicaments sont aujourd’hui en rupture de stock en Belgique ? 200 ? 500 ? Plus ? Des analyses sont en cours pour donner le chiffre le plus exact. 

APB : Les pharmaciens face à des patients en colère

Sur le terrain, la situation est tendue comme le reconnaît Nicolas Echement de l’APB : «Les pharmaciens cherchent toujours des alternatives qui deviennent de plus en plus difficiles. La colère des patients se répercute sur eux alors qu’ils ne sont pas responsables des pénuries. » L’application Pharmastatut a été mise en route, des groupes de travail Inami sont en place, mais cela ne suffit pas : « C’est un problème mondial et européen. C’est vrai que Pharmastatut n’est pas mis à jour en temps réel, mais les pharmaciens ne doivent pas hésiter à le dire et à le signaler sur l’application. Les grossistes peuvent le faire aussi. »

SSMG : Des patients veulent faire du stock

De son côté, la Dr Imane Hafid de la SSMG, confirme que le problème devient aussi sérieux dans la pratique des médecins généralistes : « Nous avons des pénuries pour les médicaments du quotidien : Perdolan, amoxicilline...On connaît des pénuries depuis le covid, mais à présent, on doit parfois donner un antibiotique plus fort ce qui n’est pas bon pour le patient. Certains patients nous disent : « j’ai fait 5 à 6 pharmacies et je n’ai rien trouvé. ». Malgré le dialogue croissant entre le pharmacien et le médecin, on ne trouve pas toujours une solution. Nous avons aussi des demandes de patients qui veulent faire du stock même pour des antibiotiques...ce qui n’est pas non plus une bonne chose. »

Dans sa pratique, elle va sur les sites pour vérifier la disponibilité : « Nous ne connaissons pas les raisons de ces pénuries mais il faut trouver des solutions et surtout, nous devons être mieux tenus au courant si possible de la pénurie réelle. Du côté de la SSMG, dès que nous sommes au courant des pénuries, nous communiquons avec nos membres sur les alternatives à privilégier. »

CBIP : Mieux être en accord avec le terrain
Cette situation impacte tous les acteurs comme le rappelle le CBIP : « les pharmaciens nous signalent des pénuries de plusieurs médicaments (essentiels) tels que le paracétamol, l’amoxicilline, le budésonide inhalé…. Les médicaments pour lesquels des pénuries sont signalées ne sont pourtant pas toujours indiqués comme étant « temporairement) indisponibles » sur notre site web (c’est-à-dire qu’il n’y a pas de symbole au niveau de la spécialité). Ceci est dû au fait que pour les informations relatives à l’indisponibilité (temporaire) des médicaments, notre site web se base sur les informations contenues dans la banque de données Pharmastatut de l’AFMPS. Les informations de cette banque de données ne reflètent donc pas entièrement la situation sur le terrain. Pourtant, les firmes pharmaceutiques sont légalement tenues de signaler les indisponibilités (temporaires) à l’AFMPS, comme le précise la procédure de l’AFMPS: « Quand le titulaire d’autorisation ou le distributeur parallèle s’attend à ce que la totalité des commandes ne puisse pas être respectée dans les trois jours ouvrables, il doit en informer l’AFMPS le plus rapidement possible et au plus tard au début de l’indisponibilité. »
Les pharmaciens peuvent signaler eux-mêmes les indisponibilités. Le CBIP encourage les pharmaciens à notifier à l’AFMPS tout médicament indisponible dont l’indisponibilité n’est pas signalée dans Pharmastatut ou sur le site web du CBIP (pas de symbole au niveau de la spécialité). « La notification peut se faire en adressant un courriel à database@afmps.be (signalement d’une erreur dans Pharmastatut) ou supply-problems@afmps.be (autres questions sur la disponibilité d’un médicament). Ces adresses e-mail peuvent également être trouvées sur Pharmastatut. »
Febelco : Relocaliser la fabrication
Pour Olivier Delaere, le CEO du grossiste Febelco, la problématique est urgente : « les pénuries se situent au niveau mondial. Nous subissons encore aujourd’hui les suites de la crise covid. En Belgique, nous pouvons toutefois trouver des solutions : on doit tout d’abord faire en sorte que l’industrie remplisse correctement Pharmastatut. Ce site donne une image tronquée et édulcorée de la situation. Les pharmaciens se plaignent de cette situation. Parfois, le site montre qu’un produit est disponible avec 10 produits en stock, mais la demande est de 10.000. Il est donc impossible de répondre à la demande même si le produit ne paraît pas en pénurie à la seconde où le pharmacien regarde. »
Pour lui, un autre problème existe : « Le stock stratégique des grossistes répartiteurs est de 250 millions d’euros de stock. Il faut que ce stock reste une priorité des autorités. »
Enfin, selon Olivier Delare, « il faut donner plus d’alternatives aux pharmaciens en terme de substitution sur certaines classes. Il faut aussi permettre aux circuits de distribution d’acheter un produit à l’extérieur du marché belge. L’import parallèle est encore trop bloqué pour réduire les pénuries alors que c’est possible.»
Il est, en outre, urgent, selon lui, de relocaliser notre production : « Je rappelle que la production a été délocalisée, il y a 20 ou 30 ans pour des coûts de main d’oeuvre, mais aujourd’hui, le marché de la production de médicaments est beaucoup plus automatisé. En plus, les frais de logistiques et de transports sont en hausse. La relocalisation redevient donc économiquement intéressante d’autant plus que nous avons une industrie pharmaceutique forte avec un savoir-faire important. Il faut l’oser et on sait que cela va prendre 10 ans. » 

Pharma.be: Une obligation légale 

De son côté, pharma.be rappelle qu’ « en collaboration avec tous les acteurs de la chaîne de distribution et l'AFMPS, pharma.be recherche des solutions pour minimiser l'impact de la non-disponibilité d'un médicament sur le patient. Notre objectif est de faire en sorte que le nombre de médicaments indisponibles reste limité et que l'impact sur le patient soit minimal. » 

Pour la problématique liée à Pharmastatut, David Gering responsable de communication de Pharma.be, reconnaît que « le système n’est peut-être pas toujours à jour. Il y a plusieurs raisons. Tout d’abord, une société pharmaceutique possède l’obligation légale de rapporter une rupture de stock ou une indisponibilité dans les trois jours. Ils doivent respecter la loi. Si une livraison ne peut pas être réalisée dans les trois jours ouvrables, cela doit aussi être rapporté comme une indisponibilité. A noter aussi que l’AFMPS ne tient pas compte sur son site (visible pour les pharmaciens et médecins) des retards de moins de 14 jours. Enfin, dans certains cas, il peut avoir des retards liés aux grossistes suivant son choix de livraison. » 

Sur Bel RTL mercredi matin, Frank Vandenbroucke a exposé les mesures prises par le gouvernement pour endiguer cette pénurie de médicaments. “Premièrement, on exige des grossistes une vraie transparence concernant leurs stocks et les mouvements de leurs stocks. Cela fait un an que l’on exige cela pour pouvoir agir de manière précoce et préventive”, a expliqué le ministre fédéral de la Santé publique. “Deuxièmement, on a créé, il y a six mois, un cadre légal rassurant pour les pharmaciens afin de substituer certains médicaments”. Jusqu’alors, les pharmaciens devaient en effet se référer aux médecins avant de substituer un médicament prescrit.

Vous souhaitez commenter cet article ?

L'accès à la totalité des fonctionnalités est réservé aux professionnels de la santé.

Si vous êtes un professionnel de la santé vous devez vous connecter ou vous inscrire gratuitement sur notre site pour accéder à la totalité de notre contenu.
Si vous êtes journaliste ou si vous souhaitez nous informer écrivez-nous à redaction@rmnet.be.