Une brèche s’ouvre dans notre monopole

La vente des médicaments reste en Belgique un droit exclusif des pharmaciens, mais un changement est en vue pour les dispositifs d’aide médicale.

L’interdiction de délivrer certains dispositifs médicaux comme des pansements stériles, des prothèses, certaines gouttes ou sprays nasaux et des autotests dans les magasins et autres supermarchés va à l’encontre de la libre circulation des biens selon les règles européennes, estime la ministre fédérale de la Santé publique, Maggie De Block. Elle va présenter un arrêté royal permettant de pouvoir étendre la vente des équipements d’aide médicale aux autres espaces de distribution.

 Échec et mat

«Après plus d’un an de négociation avec l’AFMPS et le cabinet de la santé publique, la liste d’argumentaires développés par l’APB pour garantir aux patients un encadrement pour l’accès aux dispositifs médicaux qui étaient dispensés exclusivement en officine (stériles et «drug like») n’a finalement pas été prise en compte», explique Lieven Zwaenepoel, vice-président de l’APB. «L’exception belge face à la réglementation concernant les dispositifs médicaux voulue par l’Europe ne sera apparemment plus! Aujourd’hui, la libre circulation des biens et des marchandises est un fondamental européen. La proportionnalité est une règle: il faut pouvoir démontrer que la distribution de produits par un canal spécifique est proportionnellement justifiée pour garantir la sécurité des consommateurs et qu’elle ne pourrait pas être réalisée par un autre canal ou via une autre mesure moins restrictive offrant les mêmes garanties».

«Notre approche n’a pas été protectionniste mais centrée sur l’intérêt des patients. C’est un échec, mais aussi une incompréhension», explique le vice-président de l’APB.

Dérégulation à l’européenne

«On est dans un transit de dérégulation européen, mais je rappelle que les ministres de la Santé ont le droit de prendre des dispositions pour protéger la santé des consommateurs, c’est le principe de subsidiarité des États», explique encore Lieven Zwaenepoel.

L’agence fédérale des médicaments et des produits de santé (AFMPS) explique appliquer la loi: «Le circuit de distribution est basé sur le paragraphe 6 de l’article 10 bis de l’arrêté royal du 18 mars 1999 relatif aux dispositifs médicaux».

La loi ne donne pas de liste exhaustive des dispositifs vendus exclusivement en pharmacie: il s’agit du matériel stérile, matériel d’injection, transfusion, dispositifs implantables, dispositifs de contraception (à l’exception du préservatif). Mais aussi des dispositifs qui ont une similitude avec les médicaments et/ou qui ont fait l’objet d’un enregistrement précédemment («drug-like»).

Mais attention, libéralisation ne veut pas dire n’importe quoi

Les opérateurs doivent être co-responsables! Il ne s’agit pas seulement de vendre mais d’en assumer les responsabilités. Le système doit garantir la qualité, la traçabilité, la sécurité et l’accessibilité pour les patients. La garantie de sécurité peut être basée sur le niveau de risques liés aux dispositifs médicaux (Classes européennes I, IIa, IIb, III). Le système doit être transparent.

«Les autres acteurs éventuels obtenant les mêmes droits doivent être soumis aux mêmes obligations. Aucune discrimination ne peut alors exister entre les différents canaux et opérateurs. L’autocontrôle (AFMPS), le contrôle et l’inspection doivent être appliqués de manière univoque, unilatérale et simultanée par chaque opérateur.»

Ces autres canaux seront-ils en mesure d’offrir les mêmes garanties de sécurité, de qualité, de traçabilité et d’accessibilité et seront-ils soumis aux mêmes normes que les pharmacies? J’ai des craintes à ce sujet, s’exprime Lieven Zwaenepoele. Les consommateurs comprendront-ils que le sirop pour la toux ou le spray nasal, vendus dans les supermarchés, ne sont pas des médicaments? La zone grise entre les médicaments et les autres produits de santé augmente ainsi encore plus… et sème la confusion. Rappelons que, dans un souci de bon suivi, il est également préférable d’inscrire les produits médicaux dans les dossiers des patients!

Tout bénéfice pour le consommateur?

Si la ministre de la Santé prend cet arrêté sur les dispositifs médicaux, ce sera au profit des consommateurs, selon Dominique Michel, CEO de Comeos: «Les dispositifs médicaux en vente libre ne présentent que des avantages pour le consommateur, car le libre marché offre la garantie d’un prix correct. En France, il a été démontré que le prix est en moyenne 20 à 30% moins élevé dans les supermarchés que dans les pharmacies». 

Après les dispositifs médicaux, les médicaments?

Non, explique Lieven Zwaenepoel, «ce n’est pas la volonté politique actuelle de libéraliser ce marché». Néanmoins, il faut rester bien attentif, car dans de nombreux pays la vente des médicaments OTC se libéralise. Le rôle du pharmacien s’inscrit dans un accompagnement renforcé des patients et la mise en avant de notre statut de pharmacie de référence. En parallèle, on assiste, médusés, à cette dérégulation. On peut se poser la question de la cohérence. C’est une responsabilité sociétale qu’il convient à chacun d’entre nous d’apprécier. Nos patients ont et auront toujours le choix de leur canal: acheter librement un voire plusieurs produits potentiellement inappropriés vendus en grande surface et passer à côté des signes sous-jacents d’une affection grave ou se faire conseiller et/ou orienter par un professionnel de santé qui, le cas échéant, délivrera le produit adéquat. Nous devons continuer à nous battre pour que chaque personne qui entre en pharmacie reçoive l’accompagnement nécessaire. C’est notre signature, notre différenciation et notre force: nous n’avons pas d’autre choix.

Nous conservons aujourd’hui le monopole sur les médicaments, intégrons bien ce que cela signifie et veillons à nous assurer du statut des produits que nous conseillons et délivrons aux patients.

«Il est presque irresponsable d’offrir un certain nombre de produits médicaux sans la supervision d’un professionnel de la santé. Je citerai plusieurs exemples: les produits médicaux qui ressemblent à des médicaments (comprimés, sirops, etc.) et qui sont proposés pour le traitement de symptômes banaux et l’autotest, comme celui du VIH. Après tout, les symptômes banaux peuvent indiquer des troubles sous-jacents importants ou comporter des risques qui ne sont pas banaux du tout. Je pense, par exemple, à la déshydratation en cas de diarrhée ou à une toux persistante, qui peut être indicative de l’asthme ou d’une affection maligne des voies respiratoires, ou à une cystite, qui peut être le premier signe d’une pyélonéphrite. De plus, un traitement inapproprié n’est rien de plus qu’une perte de temps et d’argent pour le patient. L’exemple d’un test VIH est encore plus fort: le faire avant les trois mois qui suivent un contact à risque n’a aucun sens (et vous risquez d’être injustement rassuré). Les premiers jours après un tel contact, il convient de s’en référer à un centre d’expertise pour la prophylaxie d’urgence!»

«Le choix et la responsabilité incombent désormais au patient: acheter en vitesse un produit à caractère médical en faisant ses courses ou plutôt demander l’avis d’un pharmacien. Certaines personnes seront capables d’y faire face consciemment, d’autres beaucoup moins. De toute façon, un supermarché ne sera jamais une pharmacie et une pharmacie ne sera jamais un supermarché. Quiconque prétend que c’est le cas confond les soins de santé avec la distribution commerciale».

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