Pénurie de pharmaciens pour les remplacements pendant les vacances

Alors qu’aujourd’hui, huit organisations du secteur de la santé sur dix sont confrontées à une pénurie critique de personnel, les pharmacies sont également frappées de plein fouet par ce problème. Des confrères vont devoir fermer leur officine pour la première fois parce qu’ils ne trouvent pas de pharmacien pour les remplacer pendant les vacances.

Des chiffres qui correspondent parfaitement à la situation que les pharmaciens avaient décrite dans notre grand sondage (Pharma-Sphere n°271), où 60% des pharmaciens disaient éprouver des difficultés à recruter du personnel (assistant ou pharmacien). À cette occasion, ils avaient montré aussi des signes évidents de lassitude, qui pouvaient faire craindre des départs ou des réorientations qui pourraient amener à une pénurie de pharmaciens à terme.

Un manque de personnel pour les vacances
Sur les sites d’emploi, sur le site de l’APB, des dizaines d’annonces cherchent des pharmaciens disponibles, des assistants «pour un remplacement, un jour par semaine», «pour 15 jours pendant les grandes vacances de juillet-août», «pour cause de ralentissement de l’activité à l’approche de la pension en remplacement de deux jours par semaine»…

La plupart des demandes sont très difficilement rencontrées (voire pas du tout), comme le confirme le porte-parole de l’APB, Nicolas Echement: «Il s’agit d’une situation qui fait l’objet de toute notre attention. Elle concerne tant le nord que le sud du pays. Nous entendons de plus en plus de confrères qui vont devoir fermer leur officine pour la première fois parce qu’ils ne trouvent pas de pharmacien pour les remplacer pendant les vacances. C’est une inquiétude réelle à ce niveau.»

Face à cette situation, du côté de l’APB, on ne reste pas les bras croisés et on investigue la question en profondeur. Il n’y a toutefois pas encore de plan qui a été mis en place: «Nous voulons objectiver les causes et nous n’avons pas non plus un chiffre précis du nombre de pharmaciens manquants pour l’ensemble du pays.»

À Bruxelles, Julien Jehaes, pharmacien et coprésident de l’Union des pharmaciens de Bruxelles, confirme «que le manque de personnel est une réalité pour les officines et que de nombreuses pharmacies cherchent des remplaçants.»

La priorité, l’anticipation
Si, sur le terrain, toutes les pharmacies ne sont pas concernées, elles sont de plus en plus nombreuses. Pour Mme Tellier, pharmacienne à Woluwe-Saint-Lambert, la situation reste gérable: «Nous avons anticipé et nous n’avons pas de problème de personnel actuellement.» Pour Pierre Wagner, pharmacien en Province de Liège, l’anticipation a aussi été la clé, mais il pense à ses collègues: «J’en connais plusieurs qui cherchent et ne trouvent pas. C’est un véritable problème.» Pour lui, la raison de cette situation est simple: «Il faut de plus en plus de personnel pour faire le même travail. La prescription électronique n’arrange rien. Parfois, on peut rester 20 minutes avec un patient parce qu’il arrive sans prescription. Je viens d’avoir encore un patient de 90 ans, il ne savait pas ce qu’il venait chercher. Nous avons pris le temps de tout lui expliquer évidemment, mais pendant ce temps, il faut d’autres pharmaciens ou assistants pour s’occuper des autres patients.»

Cette situation de pénurie qu’il redoutait, il l’avait anticipée aussi pour les vacances: «Je suis plus âgé et je tenais à avoir du personnel en suffisance. Mais c’est vrai que j’ai entendu des collègues qui disaient avoir des difficultés pour les vacances et qui disaient que s’ils ne trouvaient personne, ils allaient devoir fermer leur officine 10 ou 15 jours pour partir en vacances.»

Fermer quelques jours
Face à ces pénuries ponctuelles, certaines pharmacies ont déjà dû fermer un jour ou une semaine, comme le reconnaît Olivier Delaere, le CEO de Febelco qui à travers Sodiap reprend et gère des pharmacies: «Il s’agit d’un vrai problème. Nous avons dû fermer une pharmacie temporairement. Pour une autre officine, nous l’avons fermée quelques jours et nous en avons profité pour faire des travaux. Je ne vous cache pas que nous sommes très inquiets pour les prochaines vacances. Des pharmaciens nous disent qu’au lieu de penser à se faire remplacer, il est très probable qu’ils vont fermer leur pharmacie quand ils partiront une semaine ou 10 jours en vacances. Nous suivons la situation de très près.»

Une bonne nouvelle pour les remplacements
Cette situation préoccupante est aussi une opportunité pour les pharmaciens remplaçants. À Bruxelles, Fabienne De Wolf, pharmacienne indépendante, qui a vendu sa pharmacie depuis quelque temps, peut choisir l’endroit où elle souhaite travailler: «Je ne fais même pas de publicité. Je vais chez des pharmaciens que je connais avec des équipes sympathiques. Je ne pourrai pas répondre à toutes les demandes. Quand je parle avec d’autres pharmaciens, ils me disent qu’ils éprouvent de grandes difficultés. Le métier a évolué et je connais des pharmaciens qui sont partis dans l’industrie pharmaceutique.» Un avis partagé par Olivier Delaere: «Nous voyons de plus en plus de pharmaciens partir vers les entreprises pharmaceutiques.»

Une pénurie de pharmaciens

Pour sa part, Charles Ronlez, pharmacien, ancien président de l’APB (Membre du CA de Recipe), pense que cette pénurie est aussi provoquée par deux aspects précis: l’évolution de la pratique et les évolutions technologiques: «Comme pour les médecins qui ne travaillent plus de 7h du matin à 22h, les pharmaciens font évoluer leur pratique. Cela demande donc une autre organisation du personnel dans les officines et plus de pharmaciens et d’assistants. Les pharmaciens veulent aussi passer plus de temps avec leurs enfants et leur famille. Ils veulent de la qualité de vie.»

L’autre aspect est celui de l’informatisation et notamment de la prescription électronique. «Cela aide à certains niveaux mais cela demande plus de temps à chaque pharmacien ou assistante. Nous passons plus de temps avec les patients, surtout les patients chroniques, par exemple.»

Il garde toutefois un peu d’espoir pour l’avenir: «Avec le numerus clausus chez les médecins, on avait constaté un transfert vers le métier de pharmacien. Toutefois, ces pharmaciens n’ont pas fait l’officine, ils ont fait l’industrie, la pharmacie hospitalière, les biotechs… Aujourd’hui, on pense qu’il y aura un peu plus de pharmaciens dans les années à venir parce que les universités ont beaucoup d’inscrits actuellement. Cela devrait donc aller mieux dans un an ou deux.»

Attention aux pharmacies hospitalières
Face à cette pénurie et aux changements de mentalités, certains pharmaciens évoquent la possibilité de ne plus faire de garde, voire de permettre aux pharmacies des hôpitaux de faire les gardes à leur place. Une très mauvaise idée, selon Charles Ronlez: «Les hôpitaux n’attendent que cela. Ils pourraient encore rendre leur pharmacie d’hôpital plus rentable parce que ces pharmacies leur permettent de financer d’autres choses au sein de l’institution. Je comprends qu’avec la pénurie et la fatigue, certains pharmaciens évoquent cette éventualité, mais nous devons garder cette prérogative. Nos atouts sont aussi le service personnalisé de conseil et de proximité… afin de ne pas devenir de simples vendeurs de boîtes que l’on pourrait remplacer très facilement. Il ne faut jamais perdre ce service d’urgence/garde, surtout que nous effectuons déjà beaucoup moins de gardes qu’auparavant. Quand j’étais président de l’APB, il y avait 500 pharmacies de garde, aujourd’hui, je ne suis pas certain qu’il y en ait encore 300.»

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