Un réveil tardif pour des scandales sanitaires (Dr J. de Toeuf)

Je suis abasourdi et scandalisé devant l’aveuglement, la crédulité, et peut-être les conflits d’intérêt, que dévoilent ces affaires récentes concernant des médicaments maintenant retirés du marché. La connaissance des bases pharmacologiques des traitements médicamenteux, en particulier pour des molécules qui présentent des caractéristiques cliniques semblables à celles des substances addictogènes, est apparemment insuffisante ou mal appliquée tant par les autorités sanitaires que par le monde médical.

Les amphétamines ont été utilisées (sous le nom de Pervitine) par les armées allemandes, américaines et britanniques pendant le dernier conflit mondial. Distribuées à certaines troupes dont on attendait des performances au combat de longue haleine. Des effets secondaires négatifs de ces stimulants, entre autres une grande dépendance, l’agressivité et la dépression, ont été très vite décrits. Au cours des années qui suivirent, des dérivés multiples ont été commercialisés pour stimuler l’attention, éviter les somnolences, accroître les performances, du moins le prétendait-on.

L’effet anorexigène a été mis en avant, pour des produits tels que le Mediator; Les effets secondaires de l’Isoméride/Redux ont été soulignés de longue date, tant dans le NEJM (1997), qu’ici à Bruxelles par notre consœur Mariane Ewalenko (communications entre 1991 et 1994, témoignage devant la justice américaine 1999 aboutissant au retrait par la FDA du Redux). On a décrit des valvulopathies et des reflux de la valve pulmonaire, secondaires à l’hypertension pulmonaire causée par le produit.

Les autorités sanitaires  ont-elles réagi correctement? On peut en douter, même si elles estiment avoir appliqué convenablement la réglementation en vigueur. C’est l’honneur de notre collègue la Docteur Frachon d’avoir perçu lucidement les signes cliniques des patients, d’avoir analysé scientifiquement les cas, et d’avoir entamé un combat pour lequel elle s’est heurtée à l’incompréhension, ou parfois pire, de la part d’un certain establishment. Le Dr Ewalenko s’est heurtée au même mur.

Citons aussi au passage les dégâts liés à la prise régulière de drogues dites «de blocus estudiantin», sans oublier les dérivés surpuissants, dont le marché est inondé, vendus à usage «récréatif», et qui font quotidiennement des victimes.

Les morphiniques illustrent la même dérive que les amphétamines, la même succession de produits dont l’innocuité a été vantée. L’opium cause des ravages vers 1870. Arrive sur le marché la morphine, dont les inventeurs prétendent qu’elle n’est pas toxicomanogène et guérira les toxicomanes à l’opium. Des dizaines de milliers de blessés de la guerre 14-18 deviennent toxicomanes à la morphine. Même scénario pour l’héroïne, dont de nombreux artistes feront la promotion. Viennent la codéine, le Palfium (Bonjour tristesse), le Fentanyl, la Méthadone et la Buprénorphine, l’OxyContin. Les médecins prudents craignent le risque d’accoutumance et de toxicomanie, risques minimisés par certains laboratoires. Les circuits parallèles et les organisations criminelles génèrent aussi un marché considérable.

La réponse des états doit être forte, pas seulement répressive, mais surtout sanitaire et éducative.

Les sociétés scientifiques, les instituts de formation doivent concrètement renforcer la transmission critique des connaissances de la pharmacologie de base de ces produits: mode d’action, récepteurs, risques etc.

Les agences de médicament ne peuvent se contenter de l’existence d’autorisations de mise sur le marché, mais doivent développer de façon plus proactive une fonction d’alerte et de sensibilisation vers les médecins prescripteurs et les pharmaciens, et de sensibilisation de la population.

Serons-nous capables de tirer les leçons de ces insuffisances systémiques? Il faut l’espérer.

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