L’androgynie du Christ

L’Hôpital Notre-Dame à la Rose, de Lessines, possède parmi ses collections une œuvre étonnante et unique en son genre. Il s’agit d’un tableau peint de la fin du 16e siècle, ayant comme sujet «la Lamentation autour de la dépouille du Christ».

Cette œuvre est étonnante puisque le Christ y est peint avec une gynécomastie, ou doit-on dire plus précisément, une poitrine féminine. Il existe 3 exemplaires semblables de cette peinture dans nos régions: l’original est à Lessines. D’après Monsieur Marc Vuidar, conservateur au Musée de Notre-Dame à La Rose, les deux autres copies se trouvent à Arras et Hesdin (nord de la France).

Le Dr Valdes-Socin, endocrinologue, et Monsieur Marc Vuidar se sont penchés récemment sur cette «androgynie» du Christ. Ils viennent de publier un article sur ce tableau dans le Journal of Endocrinological Investigation, dans la section «Endocrinologie et Art».

Comme on peut le voir dans la figure 1, les seins féminins sont en effet bien présents sur le tableau jusque dans les moindres détails. Le doigt de la main droite du Christ, délicatement posé sur le mamelon, vient encore renforcer la symbolique de l’allaitement spirituel divin, mais invite également le spectateur, de façon explicite, à ne pas éloigner pudiquement son regard de cette vue troublante. Ce christ est peint également avec des hanches aux courbes féminines

Monsieur Vuidar se rappelle de cette découverte: «Notre restaurateur, Bart Verbeke, se souvient d’ailleurs très bien le choc qu’a constitué (pendant la restauration) la mise au jour de ce torse féminin voici une quinzaine d’années. La blancheur des coloris provenait bien du pinceau et de la palette du peintre d’origine.» En effet, un surpeint en grisaille avait été placé au 19e siècle afin de camoufler cette poitrine dérangeante.

L’histoire de ce Christ «androgyne», découvert seulement il y a quelques dizaines d’années, est liée à celle des religieuses augustines, probables commanditaires de l’œuvre et qui ont vécu et travaillé à l’Hôpital Notre-Dame à la Rose.  En représentant les seins du Christ aussi clairement, le peintre a voulu mettre l’accent bien évidemment sur les fonctions nourricière, d’allaitement et d’éducation spirituelle.

L’androgyne, rappelle le Dr Valdes-Socin, est une créature à moitié homme et femme. De nos jours, nous savons cependant qu’un homme produit bien sûr des androgènes (le principe «mâle»), mais aussi, dans une moindre mesure, des estrogènes qui participent, par des mécanismes différents, aux différentes fonctions reproductives et de la santé sexuelle de l’individu.

Ce tableau peut être admiré par le grand public. L’hôpital Notre Dame à la Rose, l’un des plus anciens hôpitaux d’Europe, est un ensemble architectural à découvrir, abritant une chapelle baroque, son cloître, son jardin botanique et sa salle des malades. (info@notredamealarose.be, +32 68 33 24 03)

Figure: Huile sur bois (103  cm×73.5  cm). «La lamentation autour de la dépouille du Christ». Peintre anonyme, peinture datant probablement de la fin du XVI eme siècle. Musée de l’Hôpital de Notre Dame à la Rose, Lessines.

  • Valdes-Socin H, Vuidar M. The androgyny of Christ. J Endocrinol Invest. 2020 Sep 5. doi: 10.1007/s40618-020-01413-3

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Derniers commentaires

  • Dominique PERSOONS

    13 octobre 2021

    Bonjour, l'oeuvre est impressionnante, mais votre analyse mériterait d'être enrichie par le regard de Carl G. Jung. L'archétype Anima/Animus forme un pont entre notre inconscient personnel et ce que Jung appelle l’ « inconscient collectif ». Cet attelage a la capacité de créer des images que nous utilisons pour dessiner des croyances inspirantes, créatives et intuitives. Ce fut l'une des plus grandes contributions de Jung à la psychologie des profondeurs. L'idée d'une structure "ambisexuée" fait partie de cet Inconscient collectif. Nous trouvons dans la Psychologie du transfert une description des relations croisées possibles entre l’homme, la femme, leur animus et leur anima. Les femmes imprégnées de Spiritus (Animus) (particulièrement les nonnes), associent leur foi à la virilité paternelle. Ce tableau conforte brillamment la théorie de l'Inconscient collectif de Jung.