Le coup de massue de Maggie

La saga budgétaire de ces dernières semaines n’a échappé à aucun pharmacien. Y a-t-il des solutions pour sortir de l’impasse budgétaire?

Rencontre avec Lieven Zwaenepoel (Président APB).

 

Mais que s’est-il passé? Il y a quelques semaines la situation était plutôt à l’optimisme, non?

De fait, les négociations dans le cadre de la révision se déroulaient plutôt bien. L’objectif était de fixer, avec le gouvernement, un cadre pluriannuel 2017-2019, sur le développement des soins pharmaceutiques et d’en assurer une meilleure qualité. Ce plan cohérent visait à poursuivre le système mis en place en avril 2010, qui consiste à déconnecter la rémunération du pharmacien de la marge économique. De 17,7% aujourd’hui, elle devait être ramenée progressivement à 8%. Nous avions  l’ambition de renforcer ce qui avait été déjà mis en place et donc de continuer à faire évoluer la mission et la rémunération des pharmaciens. Il est de fait important de donner aux pharmaciens les moyens financiers afin de mieux répondre aux besoins de la société, tout particulièrement dans le contexte des soins intégrés multidisciplinaires. Mais ça, c’était avant… avant que ne tombe le coup de massue: les mesures de coupes budgétaires imposées par le gouvernement soumis aux pressions du pacte de stabilité européen.

 

«Si les pharmaciens peuvent comprendre certaines mesures, là, on touche vraiment à des budgets qui devaient être réinvestis pour l’avenir, et pour nous c’est un pas trop loin!»

 

Rappelez-nous quels sont ces coupes budgétaires?

Une contribution disproportionnée est imposée de façon unilatérale aux pharmaciens d’officine. Voilà le résumé de ce qui figure dans le budget des soins de santé pour 2017! Une série de déremboursements, comme par exemple le ticket modérateur pour les antibiotiques, qui passe de 25 à 50%. Mais ce qui est très inquiétant, c’est la suppression des honoraires dits «administratifs» (chapitre IV), soit 1,28 euro versé pour la délivrance de tout médicament onéreux dont la prescription nécessite l’aval du médecin-conseil de la caisse maladie. Cela équivaut à 2,5% de notre rémunération globale. Ce manque à gagner inquiète d’autant plus la profession que la revalorisation de sa rémunération, prévue à 2,51%, est revue à la baisse, à 0,84%. Un retour de 10 ans en arrière! Une situation totalement inacceptable.

 

«Ces différentes coupes budgétaires sont inacceptables pour l’APB, dont la principale revendication est le maintien du budget à réallouer pour soutenir les nouveaux services en pharmacie, soit près de 85 millions d’euros.»

 

De quels moyens de pression disposez-vous pour faire bouger la situation?

Nous comprenons que nous devons participer aux économies des soins de santé, mais ce qui nous arrive, à nous pharmaciens, est inacceptable. Les mesures qui nous sont imposées sont plus importantes que les mesures économiques générales. En respectant le budget global, on peut réorganiser les économies différemment de façon réfléchie et rationnelle. Nous avons commencé par des actions symboliques non nocives, sauf peut-être pour la popularité de la ministre. Mais si nos messages actuels ne sont pas entendus et que la situation n’évolue pas, nous allons réagir plus fort, avec des actions syndicales qui, elles, auront peut-être plus d’impact. Si c’est de cette façon qu’il faut réagir, nous le ferons! Ce n’est pas l’habitude de la profession – nous préférons dialoguer et être constructif – mais nous n’allons pas nous laisser faire et attendre. Par le passé, nous avons été trop prudents, maintenant il nous faut agir!

 

«S’il le faut, nous entreprendrons des actions plus syndicales, nous comptons sur tous les pharmaciens.»

«Nous exigeons des vraies solutions qui respectent le rôle du pharmacien, et qui respectent le consensus dans le cadre pluri annuel.»

 

Les pharmaciens sont-ils les acteurs de santé les plus touchés par ces mesures budgétaires?

Oui! Que ce gouvernement vienne chercher dans les soins de santé près d’un tiers des économies à réaliser, alors que nous devons faire face au défi du vieillissement, c’est tout à fait déséquilibré. Que la contribution des pharmaciens d’officine soit encore supérieure à celle des autres prestataires de soins est injustifiable. Ces économies mettent en péril les soins pharmaceutiques dont nos patients ont besoin.

 

«Cette décision budgétaire ne répond pas au besoin sociétal qui est croissant dans les soins de santé, dû au vieillissement. Ce ne sont pas des mesures rationnelles mais des mesures économiques et politiques

 

Le patient est-il impacté par ses mesures?

Oui, bien entendu, il sera impacté à court terme par le déremboursement de nombreux médicaments. Mais ce qui est pire, c’est que les acteurs de soin auront moins de temps pour la prise en charge des patients, d’où la communication de notre campagne grand public «votre santé est en péril». Les mesures imposées n’affectent donc pas uniquement le compte en banque du pharmacien!

 

«Ces économies unilatérales et injustifiables se feront surtout au détriment des patients et de l’usage rationnel des médicaments.»

 

Cette situation intervient alors que les indices économiques de nos pharmacies ne sont pas au beau fixe...

L’APB s’inquiète de la santé économique des pharmacies de ses membres. La viabilité de l’officine est une priorité majeure. Une rémunération correcte des soins prestés par le pharmacien doit être garantie. Et là, avec ces coupures dans nos budgets, la santé économique de nos officines est menacée! Des faillites, des fermetures, des licenciements sont à craindre!

La marge de revenu net du pharmacien est en diminution depuis des années. Le nombre de doses prises de médicaments remboursés à augmenté de 20%, ce qui n’a rien d’étonnant vu le vieillissement de la population, mais en même temps les remboursements INAMI (ticket modérateur) sont restés stables grâce à différentes mesures. Une économie a donc déjà été mise en place depuis quelques années chez le pharmacien. D’autre part, la contribution des patients diminue fortement: alors qu’elle était de 600 millions en 2008, l’année passée elle était de moins de 470 millions, soit une économie de 20%, ce qui n’est pas négligeable et même impressionnant vu que le nombre de doses prises a augmenté. En même temps, les frais inhérents à toute activité commerciale, comme les frais de personnel ou de gestion locative, ont augmenté plus vite que les revenus. Vous comprenez donc que le contexte économique dans lequel nous vivons ne facilite rien, bien au contraire. De plus, ce qu’oublient les autorités, c’est que le pharmacien s’investit gratuitement dans de nombreux domaines! Le partage des données (DPP), la formation continue, le manuel de qualité, tout est autofinancé par le pharmacien. Nous sommes depuis toujours proactifs et engagés!

 

La pharmacie devrait-elle se réinventer pour survivre?

Nous allons nous battre pour nous défendre et nous ne laisserons pas tomber! Mais il nous faudra aussi envisager la pharmacie avec une plus grande échelle. La pharmacie devra avoir une taille suffisante pour évoluer et s’investir dans les soins pharmaceutiques, tout en maintenant une pharmacie de proximité. Les schémas de médications, les entretiens de nouvelle médication, les projets pilotes, demandent du temps et de l’espace. Il faudra envisager de nouvelles fusions, pour donner plus d’oxygène au paysage officinal. En outre, les coûts fixes deviennent un vrai problème pour les petites pharmacies. Les moyens à mettre en oeuvre pour faire tourner les petites structures sont parfois aussi importants que pour celles ayant une forte activité. Il faut aussi plus de rationalisation dans la gestion de la pharmacie, mais cette formation nous manque.

 

Diversifier ses services est peut être une solution?

Le core business de notre métier est et doit rester le médicament ainsi que les soins pharmaceutiques! La société et ses besoins évoluent, nous avons des atouts que nous développons trop peu: l’accessibilité et nos connaissances. Nous devons aussi développer notre rôle de prévention. Les objets connectés en sont une approche à laquelle nous devons nous intéresser activement. Les perspectives concernant leur utilisation sont en effet considérables dans un contexte de rationalisation des parcours de soins sur fond de vieillissement des populations et d’explosion des maladies chroniques. Que ce soit en matière de dépistage, de prévention, d’observation, de suivi, les objets connectés sont porteurs de multiples promesses. Cette vision implique aussi l’accompagnement des professionnels de santé, et en premier lieu des pharmaciens, incités à faire des objets connectés de précieux alliés dans le domaine du dépistage et de la prévention, de l’observance ou de l’éducation thérapeutique.

Et puis, le pharmacien doit s’intéresser et investir dans l’e-santé. La pharmacie on-line est vue par beaucoup de confrères comme une menace… Ce n’est pas exact! Il peut s’agir d’une belle fenêtre de visibilité pour la profession. La menace est pour les portails qui n’ont que des activités commerciales, et où le seul enjeu est la guerre des prix. Cette voie n’est pas la bonne et nous ne l’encourageons pas! La pharmacie doit se profiler en acteur de soin et ce, même dans une version on-line. D’ici peu, l’APB proposera à ses pharmaciens une version innovante et adaptée aux besoins sociétaux. À découvrir d’ici peu…

 

Les principales mesures d’économie qui visent la pharmacie
  • Déremboursement, pour cause de preuves insuffisantes, de certains médicaments (moxifloxacine, télithromycine, fibrates, coxibs) et spécialités (Procoralan, Rasilez et Protelos).

  • Déremboursement des corticostéroïdes nasaux – le propionate de fluticasone et le furoate de mométasone passent en délivrance libre. La mesure prise doit rapporter 15,3 millions d’euros aux caisses de l’État. En 2014, près de 2 millions de sprays avaient été délivrés sous prescription.

  • Déremboursement des IPP de plus de 56 ou 60 unités, conformément aux directives de bon usage.

  • Élargissement de la prescription du moins cher (quotas passent de 50 à 60%).

  • Modification de la catégorie de remboursement des antibiotiques (de B à C) pour lutter contre la surconsommation.

  • Indexation des seuils pour le maximum à facturer (MAF).

  • Saut d’index partiel (2/3) sur l’ensemble des honoraires.

  • Suppression de l’honoraire chapitre IV pour les pharmaciens étant donné la digitalisation et l’automatisation des processus administratifs concernés.

 

Vous souhaitez commenter cet article ?

L'accès à la totalité des fonctionnalités est réservé aux professionnels de la santé.

Si vous êtes un professionnel de la santé vous devez vous connecter ou vous inscrire gratuitement sur notre site pour accéder à la totalité de notre contenu.
Si vous êtes journaliste ou si vous souhaitez nous informer écrivez-nous à redaction@rmnet.be.